15 mai 2012

La génèse du rock n'roll

Nous donnons à nouveau la parole à etienneweb dans la suite de son article sur Robert Johnson qui n’était qu’un article introductif sur une série d’argumentaires proposés à notre Collectif et à travers lui à l'ensemble des lecteurs. 

Je me permets de proposer aux lecteurs un certain nombre de courants de musiques, de philosophies de littératures ayant contribué à la propagation du Rock n’roll et que je vais lister sommairement. Je l’intitule « La genèse du rock n’roll ».
 Le « blues » (devenu plus tard le jazz),
Le mouvement " Beat generation ",
Le romantisme
L’argent

Bien entendu, il ne s’agit pas des seules sources du rock n’roll. En outre, je tiens à préciser que les développements qui vont suivre concernent la musique rock en général, et non les influences musicales que chaque compositeur de rock (ou de musique de façon générale) peut avoir (ce qui n’aurait aucun sens d’ailleurs, compte tenu de la complexité de la psychologie humaine).
Enfin, je serais reconnaissant aux lecteurs de bien vouloir pardonner les fautes de français que j’ai pu faire dans les billets à venir. Lorsque j’en trouve, je tente de les corriger, mais il se peut qu’il en reste.
Le premier de ces billets a trait au jazz. En voici le contenu.

Introduction

Dans son ouvrage, le Père Regimbal constate que 90% des disques vendus dans le monde sont des disques rock. Ce chiffre résulte d’une étude réalisée en 1981, mais il y a tout lieu de penser que de nos jours, cette statistique n’a pas évolué. Ce chiffre est significatif du succès du rock n’roll. Il pourrait signifier que dans la discothèque d’un mélomane, 90 % des disques sont du rock ; il pourrait aussi signifier que 90 % des mélomanes en écoute ; il signifie certainement que l’immense majorité écoute cette musique. Deux causes permettent d’expliquer ce succès : l’une matérielle, l’autre morale.
La cause matérielle se situe dans le support auditif. En effet, autrefois, la musique n’atteignait qu’une faible partie de la population, tout le moins la musique orchestrale et instrumentale. Il fallait avoir les moyens de s’offrir une place pour assister à un concert ou un opéra. Il fallait se déplacer pour écouter un talent de la musique. Au moment où le rock n’ roll apparaît, les moyens de déplacement et de communication se sont considérablement modernisés, et aujourd’hui, la radio, les disques, les baladeurs, les lecteurs MP3 et MP4, les i-pods, la télévision, Internet et autres bijoux de la technologie permettent à tout le monde d’avoir accès à la musique. Or, le rock n’ roll étant généralement une musique extrêmement simple de par son rythme et ses mélodies est par définition une musique populaire qui va s’adresser à toutes les strates sociales du monde moderne, non seulement à une population cultivée sur un plan musical qui va s’emparer du rock n’roll, mais aussi à une population moins cultivée ; celle là même qui avait le moins de facilité d’accès à la musique qu’autrefois.
Quoiqu’il en soit, les auteurs qui se sont penchés sur le rock n’roll admettent unanimement que cette musique est, matériellement parlant, une musique qui s’inspire des rythmes afros. Elle est d’ailleurs issue du jazz dont l’inspiration est africaine (I – du jazz au rock n’roll).
 La cause morale est beaucoup plus importante. En effet, si le rock n’ roll est une musique assez simple née chez les noirs américains, il connaît son expansion dans la population blanche américaine qui a une culture musicale occidentale plus complexe.  L’évolution du rock n’roll vers une musique plus instrumentale comme le metal témoigne d’ailleurs des pénétrations des techniques dites « classiques » (ou « occidentales ») dans le rock n’roll (voir en ce sens, l’ouvrage du Père Robert Culat, « L’Age du Metal » : dans cette étude réalisée auprès des différents auditeurs de musique metal, 41,67 % des sondés ont répondu apprécier également de la musique classique et les bandes originales de films). Il n’y a donc pas de contradiction entre la musique dite « classique » et le rock. Les Wasps américains et les occidentaux de façon générale ont été préparés à écouter ce genre de musique parce que pendant près de deux siècles on les a habitué à satisfaire leurs émotions plutôt que de s’en méfier (II – la gestation idéologique du rock n’ roll).

I-             Du jazz au rock n’roll

Il est étonnant que le rock n’roll, souvent décrié comme une musique d’inspiration sataniste, est apparu comme étant le type même de la musique révolutionnaire, antichrétienne par essence. Certains y ont même vu l’organisation d’un Complot sataniste… Le rock n’roll, si l’on en croit certaines autorités religieuses comme chez les Evangélistes Américains, serait une musique inventée de toute pièce par des adorateurs du Diable. Dès 1956, le pasteur américain Albert Carter déclarait que le rock n’roll faisait des jeunes gens, des adorateurs du Mal : « Cette musique stimule l’expression personnelle par l’entremise du sexe, elle détruit tout respect de la loi, elle nuit à l’équilibre nerveux et désacralise le mariage. Elle a une influence néfaste sur la jeunesse (…) » (Gary Herman, p 181).
Ces réactions ne sont pas nouvelles. Dans l’histoire de la musique, il est arrivé plusieurs fois qu’un genre musical nouveau soit décrié. Lorsque Beethoven secoua le rythme dans la musique classique en la rendant plus orchestrale et plus bruyante, ses détracteurs ont déclaré que ce qu’il faisait n’était pas de la musique, et nous étions au XVIIIème siècle.
Friedrich Nietzche, l’une des plus grandes figures de la philosophie allemande du XIXème siècle, et musicien par ailleurs, nous rappelle l’époque et l’origine de l’opéra avec une critique acerbe : « Est-il croyable que la même époque où venait de surgir la musique indiciblement sublime et sainte de Palestrina, ait pu accueillir avec une telle exaltation et entourer de tant de faveurs cette musique de l’opéra tout extérieure, incapable du moindre recueillement, au point d’y voir, ou presque, la renaissance de toute véritable musique ? » (In « L’Origine de la Tragédie »)
Il en est de même pour le jazz. Dans un opuscule édité en 1959 par Flash (un aficionado du jazz), celui-ci rapporte :
« Le jazz ? me disait-on. Il consiste en hurlements frénétiques et en salles aussi enfumées que déchaînées ! Pour beaucoup donc, cette musique se résumait en deux aspects nettement péjoratifs : hystérie et pistes de danse ». Intéressant de noter que c’est ce qu’on reproche aujourd’hui au rock n’roll ! Rien de nouveau sous le soleil donc.
Or si le jazz est entré dans l’establishment, le rock n’roll est toujours décrié. Cette branche de la musique n’est d’ailleurs que très peu étudiée dans les facultés de musicologie, du moins en France, alors que dans d’autres pays, certains orchestres classiques n’hésitent pas à accepter de collaborer avec des groupes de rock. Ainsi, par exemple, l’Orchestre Philarmonique de San Francisco s’est produit sur scène avec le groupe de Metal « Metallica ».
Comment est né le jazz ?
Cette forme de musique est indissociable de la venue des premiers Africains qui mirent le pied sur le continent américain, en débarquant à Jamestown (Virginie) en 1619. Il s’agissait de quelques pauvres noirs que des commerçants hollandais vendaient aux colons en échange de denrées alimentaires. Dès ce moment, l’esprit du jazz était conçu.
Ces quelques noirs sont aussi venus avec leurs traditions, leur manière de vivre, et… leur musique. Cette musique moins élaborée que la musique occidentale, sans écritures, et presque sans instruments de musique. Le noir africain chante en travaillant. Ce rythme lancinant du « blues », qui est l’essence même du jazz nous vient de cette ferveur de l’esclave noir rythmant le travail collectif.
Le soir, la communauté noire se retrouvait pour des danses sensuelles et sauvages qui rappellent les danses tribales africaines. Autour de la scène de danse, les hommes et les femmes qui ne dansaient pas rythmaient la « musique » en frappant dans leurs mains. Parfois, il était utilisé un « tam-tam » improvisé (des vieux barils ayant contenu du poisson et recouverts de peau).
Ce balancement si caractéristique que l’on rencontre dans le rythme du jazz, c’est le Swing. Ce terme emprunté au jazz se retrouve aussi dans le rock n’roll.
Mais c’est le « blues » qui est l’âme du jazz. Le mot « blues » vient d’une expression argotique « I’ve got the blues » (littéralement, j’ai les bleus), et qui veut dire « je suis triste ; j’ai le cafard, le spleen ». Le « blues », c’est donc une musique à état d’esprit romantique. Le romantisme des noirs américains. Mais le « blues », s’il est l’état d’esprit du jazz, n’est pas encore le jazz. Le blues est un chant. Pas ou peu d’instruments de musique.
C’est donc au contact de la culture occidentale que le « blues » devient le jazz. Les noirs américains, n’ayant aucune ou très peu de culture instrumentale découvrent les instruments de musique avec les occidentaux. Ils vont s’en servir pour créer un nouveau style musical : le jazz. Et comme les noirs américains vivent dans le sud-est des Etats-Unis, c’est assez naturellement que les premiers « band » de jazz se produisent à la Nouvelle-Orléans.
Sans nous étendre plus avant sur la culture du jazz, il est nécessaire de comprendre que l’apparition des instruments chez les noirs américains a été source de diverses évolutions du jazz, et qui si elle a donné de grands morceaux de musique, a parfois amené à la déperdition de l’esprit du « blues ».
En effet, le chant du « blues », n’étant pas accompagné d’instruments, était souvent improvisé. Du jour ou les instruments sont apparus, la culture de la musique occidentale s’est nécessairement emparée du jazz en lui imposant ses propres règles : écritures, règles harmoniques et mélodiques qui ne pouvaient que déprécier les improvisations du blues. Mais ce sont aussi toutes ces improvisations instrumentales qui firent la richesse du jazz. Le jazz a apporté énormément de talents et la virtuosité d’un instrumentiste était appréciée. Les instruments traditionnels d’accompagnement dans la musique classique sont devenus des instruments solistes dans le jazz (par exemple, le saxophone). Cette manière de concevoir l’instrument en tant qu’élément d’improvisation soliste se retrouve dans le rock n’roll, surtout avec la guitare. Quelques noms de grands guitaristes du rock n’roll : Santana, Slash (ex membre du groupe « Guns n’roses »), l’inévitable Jimi Endrix, etc… Les soli de violoncelles du groupe Apocalyptica… Comment ne pas faire le rapprochement avec des instrumentistes de jazz tel que Sidney Bechet (clarinette), Louis Armstrong (trompette) le roi du jazz ?
Le rock n’roll a donc emprunté au jazz. Il est indissociable de l’esprit du « blues », et c’est ce que Johnny Halliday veut nous faire comprendre : « Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du blues… ». Il est d’ailleurs frappant de constater qu’un certain nombre de techniques, d’évolutions musicales sont directement issues du jazz.
Le beat, tout d’abord, qui est une accentuation des temps d’une mesure créant une sorte de pulsation ;
Les riffs, qui sont des courtes phrases mélodiques d’une ou deux mesures, répétées le plus souvent tout au long du chorus et jouée en section pour accentuer encore le rythme. Cette méthode a été lancée par un des grands noms du jazz : Duke Ellington.
Le Straight : le Straight est à la base un style de jazz qui s’opposait au jazz « hot » (chaud). Le jazz Straight est une musique jouée d’après une partition, donc avec très peu d’improvisations. C’est, selon Flash, de l’anti-jazz. A noter que ce type de jazz a été le plus souvent joué par les grands orchestres blancs des années 20. Ce terme a été repris par une mouvance de rock contraire à l’état d’esprit du rock : le mouvement Straight Edgge. De même que le Straight jazz est l’anti-jazz, le Straight Edgge est l’anti-rock. Il serait intéressant de savoir si les fondateurs de ce mouvement se sont inspirés du mot « Straight » dans le jazz.
Le son guttural : la voix gutturale (rauque) provient des chants noirs, et est utilisée dans le jazz de façon systématique. C’est pour cela que lorsque le rock n’roll est apparu, le succès qu’il devait avoir devait obligatoirement passer par un blanc sachant chanter comme un noir : ce fut Elvis Presley. Le son guttural est aujourd’hui très utilisé et très exagéré (à tel point que l’on n’entend plus les modulations de la voix) dans le black metal et le hardcore metal.
Pour finir : qu’est ce que le jazz, quel est son état d’esprit ? Selon Flash :
« - Le jazz, dirai-je encore, c’est l’homme tout nu.
« - Donc, sauvage ?
« - Mais non ! L’homme primitif collé à la nature qui l’entoure et à sa nature personnelle. L’être instinctif qui se laisse aller aux rythmes de la terre. Le jazz, c’est Dionysos, ce dieu de l’instinct et de nos forces obscures ; celui qui autrefois, symbolisait notre moderne « subconscient ».
« Il faut donc regarder le jazz comme une force de la nature. Comme une musique dégagée de la raison et de la logique. Comme une puissance de tendresse, de mélancolie et de déchaînement, qui chante doucement une tristesse terrible, ou crie un espoir sans limite… »
Le jazz, cette musique essentiellement écoutée par les Noirs, mais admirée par de grands compositeurs classiques comme Prokofiev, Debussy,…, de grands littérateurs comme Boris Vian en France, Jack Kerouac aux Etats-Unis, n’était cependant que peu écoutée par le public blanc. C’est avec l’évolution du jazz vers le rock n’roll et Elvis Presley qu’on a pu se rendre compte qu’entre musique occidentale et rythmes afros, il n’y avait pas de contradiction.
Le jazz, cette musique d’inspiration dionysiaque que Nietzche a théorisée dans son ouvrage fondamental « L’Origine de la Tragédie »
La semaine prochaine, si le Collectif est d’accord, je vous proposerai la suite de mes articles. Je tenterai de vous parler dans la deuxième partie de cette série de billets (la  gestation idéologique du Rock n’roll) à travers le « Romantisme ».
Sources :

Sur le complot sataniste : 

 « La théorie du complot et les satanistes » Reportage vidéo diffusé sur Planète Choc –  (Archive : ITN Archives ; WTN Archives ) 

« La secte des Illuminatis » (Père Jean-Paul Regimbal, interview télévisé, 1983, disponible sur Dans cette interview, le Père Regimbal dénonce clairement un complot sataniste qui s’est emparé de la musique rock.
« Le subliminal et les Médias. Les influences sur la société » de Michel Poulaert auteur du site le subliminal qui se méfie de l’existence d’un complot sataniste particulier à la musique rock. Il y a eu beaucoup de commentaires sur son forum à ce sujet.

« Rock n’roll Babylone – 50 ans de sexe, de drogue et de tragédies » (Gary Herman – Edition Denoël – X-trème  - Octobre 2005) – quoique l’ouvrage n’emploie pas le terme de « Complot », mais démontre des attaques religieuses contre le rock n’roll dès ses origines.

Sur le jazz 

 « Jazz ; du New Orleans au Modern Jazz » (Monsieur et Madame Flash, Bibliothèque Marabout, édition complétée et remaniée – 1959 – Editions Gérard et Compagnie, Verviers) A noter ici la date d’édition de l’ouvrage : 1959, à une époque ou le rock n’roll est assez mal connu en Europe, tout le moins en France.

Autres ouvrages cités :

« La Naissance de la Tragédie » Friedrich Nietzche – Folio essais – traduit par Philippe Lacoue-Labarthe 
« Le rock n’ roll, viol de la conscience par les messages subliminaux. » (Père Jean-Paul Regimbal, éd. Croisade, 1983, Genève)
« L’Age du Metal » (Père Robert Culat – Editions Camion Blanc, septembre 2007)

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